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Communiqué de presse


LE RAPPORTEUR SPÉCIAL DE L’OEA SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION EST PRÉOCCUPÉ PAR LA SITUATION DES JOURNALISTES ET DES MÉDIAS EN HAÏTI

  4 septembre 2002



Le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) de l’Organisation des États Américains (OEA)] Eduardo A. Bertoni, a exprimé sa préoccupation face aux assassinats, aux menaces et aux prises d’otage auxquels sont soumis les journalistes, et qui produisent un climat défavorable à l’exercice du droit à la liberté d’expression en Haïti. M. Bertoni a effectué une visite en Haïti au cours de laquelle il a reçu des informations sur ce genre d’actes, ainsi que sur l’état de l’enquête qui avait été ouverte pour trouver les auteurs des assassinats des journalistes Jean Dominique et Brignol Lindor.

Le Rapporteur spécial s’est rendu en Haïti dans le cadre d’une visite de la CIDH qui s’est déroulé du 26 au 29 août pour répondre à une invitation du Gouvernement du Président Jean-Bertrand Aristide. Cette visite est la deuxième qu’effectue le Rapporteur spécial en 2002. En ces deux occasions, M. Bertoni a pu recueillir des renseignements sur l’exercice de la liberté d’expression dans ce pays. Le programme de sa visite incluait des réunions avec les autorités du Gouvernement, des juges, des journalistes, des associations de journalistes, et des organisations des droits de l’homme. Les données et les renseignements recueillis feront en temps opportun l’objet d’un rapport.

En Haïti, l’assassinat des journalistes, l’existence d’un nombre important de dénonciations de prises d’otage, et de menaces contre les journalistes, les médias et d’autres communicateurs sociaux ont créé un climat peu propice à l’exercice de la liberté d’expression. «Il est inquiétant de constater que ceux qui sont touchés par les attaques à la liberté d’expression ne bénéficient pas toujours effectivement de la protection judiciaire qui permettrait d’établir clairement les responsabilités, d’empêcher ces intimidations et de réparer les dommages causés» a déclaré Bertoni.

Le Rapporteur a reçu des informations sur le stade d’avancement de l’enquête qui avait été ouverte sur l’assassinat du présentateur-réalisateur Jean Léopold Dominique survenu en avril 2000, qui s’est heurté à de sérieuses irrégularités, y compris des menaces et des intimidations adressées au Juge Claudy Gassant. Le Rapporteur souligne que ce genre d’actes est une forme indirecte de restriction de la liberté d’expression, car il crée une conjoncture dominée par la peur dans laquelle évoluent les autres communicateurs sociaux qui à leur tour craignent de dénoncer d’autres attaques. Pour obtenir de plus amples renseignements sur le stade actuel d’avancement de cette enquête, Bertoni a eu des réunions avec Mme Michèle Montas, la veuve du journaliste assassiné et avec le juge nouvellement nommé dans cette affaire, Bernard Saint Vil. Il a demandé à ce dernier de redoubler d’efforts pour garantir dans cette enquête les progrès propres à rendre possible la détermination des auteurs matériels et des cerveaux de l’assassinat de Dominique.

Pendant la visite du Rapporteur spécial également, celui-ci a obtenu des informations sur l’enquête menée au sujet de l’assassinat du directeur des nouvelles de Radio Eco 2000, Brignol Lindor, survenu en décembre 2001. Selon le Rapporteur, le fait que les enquêtes avancent si lentement constitue un sujet de préoccupation. Bertoni a exprimé ces préoccupations au juge chargé de l’enquête, Grizner Duclaire. Le Rapporteur lui a aussi demandé que des mesures pertinentes soient adoptées pour protéger les témoins et les autres personnes liées à l’enquête.

Le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression a observé une augmentation sensible des prises d’otages perpétrées par des groupes civiles armés qui agissent en dehors de la loi contre les journalistes, les média en général et d’autres personnes désireuses de s’exprimer librement, comme dans les manifestations d’étudiants. Dans ce domaine, le Rapporteur recommande au Gouvernement haïtien de garantir l’exercice de la liberté d’expression de toutes les personnes. Le droit à la liberté d’expression est indispensable au développement et au renforcement de la démocratie et à l’exercice de tous les droits de la personne. « La liberté d’expression n’implique pas uniquement la possibilité d’exprimer des idées et des opinions, mais également la possibilité de le faire sans souffrir des conséquences arbitraires ni être soumis à des actes d’intimidation» a déclaré le Rapporteur.

Un autre aspect pertinent en matière de liberté d’expression en Haïti est l’existence de la législation contraire à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, comme les lois sur l’outrage à l’autorité de la justice, et la punition des expressions offensives proférées contre les fonctionnaires du gouvernement. Dans ce domaine, le Rapporteur recommande à l’État haïtien d’aligner sa législation dans ce domaine à l’article 13 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Il convient également de rappeler la teneur du Principe 10 de la Déclaration de principes de la CIDH sur la liberté d’expression, selon lequel, « (…) la protection de la réputation doit être garantie uniquement au moyen de sanctions civiles, dans les cas où la personne offensée est un fonctionnaire du gouvernement ou une personne publique ou un particulier qui a été volontairement associé aux questions d’intérêt public (…)»

Le Rapporteur comprend que la complexité de la situation politico-sociale dans laquelle se trouve Haïti aujourd’hui a une incidence directe sur l’exercice de la liberté d’expression. De même, il est conscient que cette situation ne répond pas aux conditions immédiates et conjoncturelles, mais qu’elle une conséquence directe des années d’oppression et de violence qui ont eu droit de cité dans le passé, comme elle était aussi le produit de multiples crises politiques et de coup d’État militaires qui se sont produit en Haïti depuis le démarrage du processus de transition et de reconstruction des institutions démocratiques en 1987. Sans préjudice de cet état de choses, le Rapporteur rappelle que l’État haïtien est soumis à l’obligation de respecter et de garantir les droits reconnus dans la Convention américaine relative aux droits de l’homme à laquelle Haïti est partie et qui consacre le droit à la liberté d’expression.

Le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression exhorte l’État haïtien à garantir le plein exercice de la liberté d’expression à tous les habitants sans que ceux-ci soient exposés au danger d’être victimes de représailles. Enfin, il recommande que soient adoptées des mesures nécessaires à assurer l’autonomie, l’indépendance et l’impartialité du Pouvoir judiciaire pour que celui-ci soit en mesure de remplir son rôle de protecteur de la liberté d’expression, conformément aux normes du droit international.

Le Bureau du Rapporteur spécial sur la liberté d’expression continuera d’observer avec attention le stade d’évolution de la liberté d’expression en Haïti. Le Rapporteur sait gré au Gouvernement haïtien de la bonne disposition dont il a fait montre pendant cette visite. En conclusion, le Rapporteur voudrait féliciter et appuyer tous les journalistes qui exercent cette importante tâche d’informer la société.

Le Bureau du Rapporteur sur la liberté d’expression est de nature permanente. Il est indépendant dans l’exercice de ses attributions et autonome quant à son budget. Il a été créé par la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans la sphère de compétence de ses attributions, et fonctionne dans le cadre juridique de cette institution. Le Bureau du Rapporteur spécial est issu du Deuxième Sommet des chefs d’État et de gouvernement qui a eu lieu à Santiago du Chili en 1998.



Eduardo A. Bertoni
Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de laCIDH
Washington, D.C.
3 septembre 2002

Référence : CIDH/6202F