Le RELE alerte sur la situation de la liberté de la presse en Haïti et demande au Conseil présidentiel de transition et aux États de la région d'adopter des mesures d'assistance en faveur des journalistes

3 mai 2024

Washington D.C. - Dans le cadre de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le Bureau du Rapporteur Spécial pour la liberté d'expression (RELE) de la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) réitère sa préoccupation quant à la grave situation des journalistes en Haïti, un pays qui fait actuellement face aux plus grands défis en matière de liberté de la presse dans l'hémisphère. Le Bureau exhorte le Conseil présidentiel de transition, ainsi que les autres États membres de l'OEA qui décident de participer à la Mission multinationale d'appui à la sécurité des Nations Unies en Haïti, à adopter les mécanismes d'assistance et les mesures nécessaires pour garantir la sécurité et la protection des journalistes en Haïti, afin qu'ils puissent exercer leur métier librement et en toute sécurité.

Le dernier rapport pays de la CIDH, publié en 2023, note que les différentes crises qui secouent actuellement l'État haïtien sont constituées de deux cycles interconnectés qui, selon l'analyse transversale de la RELE, ont porté atteinte à la liberté de la presse avec une ampleur et une rapidité sans précédent dans la région.

Le premier cycle, qui s'est écoulé entre 2018 et la mi-2021, a été marqué par la multiplication des manifestations face au mécontentement social suscité par l'augmentation du prix de l'essence, par des accusations de corruption à l'encontre du gouvernement, ainsi que par l'échec des efforts visant à consolider une institution électorale fonctionnelle. Au cours de ce premier cycle, le Rapporteur a enregistré dans ses rapports annuels les meurtres d'au moins 4 journalistes, perpétrés principalement par des bandes armées ; la disparition d'un journaliste ; des attaques physiques contre 12 reporters couvrant des manifestations, y compris des tirs d'armes à feu et d'armes moins létales ; des attaques armées contre 6 membres de la presse pour leur travail d'investigation sur la corruption et la sécurité des citoyens ; et 3 menaces contre des installations de médias.

Le second cycle a commencé avec l'assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. Cet événement a conduit à l'aggravation de la défaillance institutionnelle et démocratique dans le pays et, avec elle, à la dégradation de la sécurité des citoyens. Le gouvernement intérimaire du Premier ministre Ariel Henry a reporté les élections de 2021 et 2023, ce qui a entraîné une diminution progressive du nombre d'élus en fonction. Ce vide d'autorité a facilité la prolifération des gangs dans le pays, ainsi que leur présence et leur contrôle territorial. Les estimations les plus récentes font état d'environ 200 gangs, dont au moins 23 opèrent à Port-au-Prince au sein de deux coalitions rivales, le G-PEP et le G-9, qui se disputent plus de 80 % de la zone métropolitaine de la capitale haïtienne. De septembre 2022 à mars 2024, et du fait de la violence des gangs, il y a eu plus de 4.000 meurtres, 1.800 enlèvements et 2.100 blessés, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti. De même, plus de 53.000 personnes ont fui la capitale depuis le mois de mars de cette année, s'ajoutant aux 310.000 personnes déjà déplacées.

Depuis juillet 2021, le Bureau du Rapporteur Spécial a enregistré l'assassinat de 11 journalistes, la plupart d'entre eux dans le cadre de leur couverture des affrontements entre bandes criminelles pour le contrôle du territoire; l'enlèvement d'au moins 10 travailleurs de la presse comme stratégie d'intimidation et d'extorsion par des groupes armés; le déplacement forcé de 9 journalistes et de leurs familles; l'exil d'au moins 3 autres reporters; des agressions contre au moins 10 reporters qui, bien qu'effectuant leur travail de reportage lors de multiples manifestations, ont été blessés par des projectiles mortels et des grenades lacrymogènes; ainsi que des attaques armées contre le siège de 2 médias.

Le Bureau a constaté que les "zones de silence" présentent certaines caractéristiques communes, à savoir la présence de structures criminelles organisées, des niveaux élevés de corruption administrative qui facilitent la subornation des institutions de l'État, l'absence de réponse efficace de la part des autorités chargées de la prévention, de la protection et de la justice, et le manque de soutien ou d'accompagnement des journalistes qui les exposent à des risques accrus. Le nombre alarmant d'assassinats, de disparitions, d'enlèvements, d'agressions et de menaces à l'encontre des journalistes, les multiples cas de déplacements internes forcés et d'exil, ainsi que les attaques répétées contre les installations des stations de radio et des réseaux de télévision, montrent qu'Haïti, et en particulier sa capitale, est une zone de silence et un endroit très dangereux pour les journalistes.

Ces facteurs combinés empêchent constamment les journalistes du pays, et en particulier de Port-au-Prince, de faire leur travail, limitent la liberté d'expression, ont un effet dissuasif sur la libre circulation de l'information, et dissuadent par la peur la presse de traiter certaines questions d'intérêt public. Le Bureau considère que sans journalisme, les organisations de la société civile, les entités de l'État encore en activité et la communauté internationale seront confrontées à de plus grandes difficultés pour répondre aux crises politiques, économiques, sociales et humanitaires en cours dans le pays.

En vue de l'inauguration du Conseil présidentiel de transition le 25 avril 2024, ainsi que du processus préliminaire de déploiement de la Mission multinationale d'appui à la sécurité en Haïti, le Bureau appelle ces deux acteurs à entreprendre des efforts spécifiques pour protéger les journalistes dans le cadre de leur stratégie visant à rétablir la sécurité dans le pays et à ouvrir la voie à la tenue d'élections.

Enfin, le Bureau du Rapporteur Spécial annonce qu'il prépare un rapport dont l'objectif est de diagnostiquer les difficultés rencontrées par les journalistes en Haïti dans l'exercice de leur métier, et l'impact que cela a sur l'écosystème des médias. Le rapport abordera en détail la valeur du journalisme dans l'orientation des réponses nationales et internationales aux crises en Haïti par les acteurs de la société civile, les institutions étatiques et la communauté internationale. Dans le cadre de ce rapport, le Rapporteur continuera à dialoguer avec les journalistes locaux et les correspondants internationaux afin de suivre la situation de la liberté de la presse dans le pays.

Le Bureau du Rapporteur Spécial pour la liberté d'expression est un bureau créé par la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) pour encourager la défense hémisphérique du droit à la liberté de pensée et d'expression, compte tenu de son rôle fondamental dans la consolidation et le développement du système démocratique.

No. R089/24

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