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Communiqué de presse


LA COMMISSION INTERAMÉRICAINE DES DROITS DE L’HOMME COMPLÈTE SA VISITE EN HAÏTI

  7 septembre 2004

La Commission interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) vient de compléter une visite en Haïti à l’invitation du Gouvernement de ce pays. Cette visite eut lieu du 1er au 3 septembre 2004. La délégation de la CIDH était composée de Clare K. Roberts, premier vice-président et rapporteur pour Haïti ; Brian Tittemore, Spécialiste principal en Droits de l’Homme ; Bernard Duhaime, membre associé du personnel de l’OEA et professeur de droit à l’Université du Québec à Montréal ; Candis Hamilton, avocate consultante de la CIDH et Julie Santelices, assistante administrative.

Il s’agissait de la première visite de la CIDH en Haïti depuis la violence qui eut lieu en Haïti au début de 2004 et qui mena au départ de l’ancien Président Aristide et à la mise sur pied du présent gouvernement de transition. Par conséquent, la Commission, dans le cadre de sa visite, a tenté d’obtenir des informations concernant l’état de protection des Droits de l’Homme en Haïti depuis ces événements.

Prenant en considération l’information obtenue, la Commission demeure préoccupée par le fait que plusieurs secteurs des Droits de l’Homme des Haïtiens sont affaiblis et menacés. La CIDH espère cependant que le gouvernement, en collaboration avec la communauté internationale, saura exploiter les circonstances présentes pour outre passer les difficultés du passé et de cheminer vers un futur qui assurera pleinement la démocratie, l’État de Droit et le respect des Droits de l’Homme.

Pendant son séjour en Haïti, la Commission a rencontré des représentants du Gouvernement haïtien de transition, des membres de la société civile, de même que des organisations internationales. La Commission s’est réunie avec le Président de la République, M. Boniface Alexandre, le Premier Ministre, M. Gérard Latortue, le Ministre des Affaires Étrangères et des Cultes, M. Yvon Siméon, le Ministre de la Justice et de la Sécurité publique, M. Bernard Gousse, le Ministre de l’Intérieur, M. Hérald Abraham, la Ministre de la Condition féminine et des Droits de la Femme, Mme Adeline Magloire Chancy, le Directeur général de la Police Nationale d’Haïti, M. Léon Charles, ainsi que le Protecteur du Citoyen, M. Necker Dessables. La Commission s’est également entretenue avec un grand nombre d’organisations non gouvernementales présentant des points de vue différents, avec des associations d’avocats, et de juges et de magistrats. La Commission s’est aussi réunie avec le Chef de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), M. l’Ambassadeur Juan Gabriel Valdes, d’autres représentants de la MINUSTAH, de même que des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme. De plus la Commission a présenté un séminaire sur le Système interaméricain de protection des Droits de l’Homme avec des fonctionnaires de divers ministères et agences gouvernementales.

La Commission est particulièrement préoccupée par l’état de la sécurité en Haïti où des groupes armés semblent se charger de la sécurité dans plusieurs secteurs du pays où l’État n’assure pas la protection effective des habitants de ces régions. La Commission rappelle que l’État a l’obligation de garantir la sécurité de sa population et doit assurer le droit à la protection judiciaire. La CIDH appelle l’État haïtien à prendre, en collaboration avec la communauté internationale, les mesures urgentes nécessaires au désarmement de ces groupes et au maintient de la sécurité du peuple haïtien.

La CIDH est également préoccupée par les faiblesse de l’administration de la justice, dont certaines existaient avant la mise sur pied du gouvernement de transition, de même que par le persistant problème de l’impunité. Parmi les lacunes qui continuent d’affliger le système judiciaire il faut noter un manque de ressources pour les juges, les magistrats, les tribunaux et la police, de même que des violations fréquentes du droit aux garanties judiciaires, dont des instances de détention préventive prolongée d’individus sans que ceux-ci soient amenés devant un juge. Par ailleurs, la Commission fut informée pendant sa visite que les forces policières sont constituées d’environ 3000 agents pour une population totalisant plus de 8 millions d’habitants. La CIDH fut également informée que le gouvernement prévoit, à court et long terme, recruter et former plusieurs policiers supplémentaires. De plus, il fut indiqué à la Commission que les juges et les magistrats avaient obtenus des augmentations de salaire et que, bien que ces augmentations puissent être insuffisantes, ces mesures constituent un premier pas vers l’amélioration de l’administration de la justice dans le pays.

Des allégations ont été présentées devant la Commission concernant le traitement d’individus particuliers par le système judiciaire haïtien, dont le procès d’anciens paramilitaires et policiers pour le meurtre d’Antoine Izméry, et dont l’arrestation et la détention d’anciens ministres du gouvernement antérieur, dont M. Yvon Neptune et M. Jocelerme Privert, que la Commission a rencontrés pendant sa visite. À ce sujet la Commission tient à réitérer ses préoccupations exprimées antérieurement dans le précédant communiqué de presse de la CIDH No. 17-04 portant sur l’obligation du gouvernement de mettre fin à l’impunité par l’entremise de procédures qui sont conformes aux standards internationaux, de même que par le respect du droit de toute personne aux garanties judiciaires et du droit d’être entendu par un juge ou tribunal compétent, impartial et indépendant, sans discrimination de toute sorte.

En lien avec les faiblesses de l’administration de la justice en Haïti est le persistant problème de l’impunité liée aux violations passées des Droits de l’Homme. La Commission continue de recevoir, dans certains cas, des rapports portant sur le manquement des autorités à leur obligation d’enquêter, d’instruire en justice et de sanctionner les violations des Droits de l’Homme, et, dans d’autres cas, des rapports portant sur l’initiation de poursuites pénales pour des raisons inappropriée ou politiques. En ce qui concerne ces allégations, la Commission désire réitérer l’importance du droit de toute personne aux garanties judiciaires et du droit d’être entendu par un juge ou tribunal compétent, impartial et indépendant, sans discrimination de toute sorte, dont celle fondée sur les opinions politiques.

De plus, la Commission a reçu des informations et des rapports alléguant la perpétration d’actes de violences contre des individus en raison de leur affiliation ou de la perception de leur affiliation avec l’ancien président et son parti politique, particulièrement pendant la période qui a immédiatement suivi le départ de celui-là. La CIDH a également reçu des informations relativement à des actes de violence qui, selon ces allégations, auraient été commis par des sympathisants du président précédent, dont un récent incident pendant lequel le Secrétaire d’État aux Affaires étrangères de la France fut attaqué lors de la visite d’un hôpital à Cité Soleil. À ce sujet, la Commission désire souligner l’obligation de l’État d’enquêter les allégations sérieuses de cette nature et, lorsque établies, de poursuivre et punir les responsables.

La CIDH fait également part de ses sérieuses préoccupation relativement à des allégations de violations des droits humains perpétrées contre des personnes appartenant à des groupes particuliers, dont les femmes, les enfants et les défenseurs des Droits de l’Homme. Selon l’information reçue, le viol de femmes et de jeunes filles commis par des groupes armés et des bandits, parmi tant d’autres, constitue toujours un problème sérieux en Haïti. Il est également allégué que des enfants ont été victimes de travail forcé, d’enlèvements et de violence perpétrée par des groupes armés. La CIDH réitère la nécessité que l’État prenne des mesures concrètes pour éviter ce type de comportement, dont l’enquête, l’instruction judiciaire effective et la poursuite de plaintes portant sur ce type d’actes. Par ailleurs, le Ministère de la condition féminine a informé la Commission de ses efforts pour encourager des initiatives de réforme judiciaire relativement aux besoins des femmes, dont la proposition de faire du viol un crime en vertu du droit haïtien, de même que des efforts pour encourager le déveoppement des groupes de femmes dans les régions d’Haïti.

Une fois de plus, la Commission a pris note des problème fondamentaux liés à la pauvreté extrême, au haut taux d’analphabétisme et de malnutrition qui continuent de priver les Haïtiens de leurs droits économiques, sociaux et culturels et, en même temps, d’exacerber les conséquences de la négation des droits civils et politiques. La CIDH reconnaît que ceci constitue un défi considérable pour l’État haïtien et appelle l’État, en coopération avec les tous les secteurs de la société et avec l’appui de la communauté internationale, à mettre sur pied et à appliquer un plan de développement qui répondra aux besoins économiques et sociaux fondamentaux de chaque Haïtien.

Finalement, bien qu’elle considère que la République d’Haïti continue de faire face à de sérieux problèmes relatifs à la protection des Droits de l’Homme, la CIDH met fin à sa visite avec de grands espoirs pour la population haïtienne. Lors de leurs rencontres avec la Commissions, les représentants du gouvernement de transition ont exprimé leur ferme intention de faire de la protection des droits humains un point central de leur travail. Par exemple, le Premier Ministre a indiqué à la CIDH qu’il voulait mettre fin à la pratique selon laquelle les fonctionnaires gouvernementaux haïtiens peuvent être empêchés de quitter le pays sans autorisation.

La Commission insiste sur l’importance des élections en Haïti prévues pour 2005, qui permettront d’établir une plus grande stabilité pour l’avenir du pays. En ce qui concerne ce défi de même que tous les autres auxquels le peuple haïtien fait face, la Commission appelle la communauté internationale à fournir l’appui et l’assistance nécessaire pour permettre au Haïtiens d’outre passer les difficultés du passé et de cheminer vers un futur qui assurera pleinement la démocratie, l’État de Droit et le respect des Droits de l’Homme.

La Commission exprime sa gratitude pour l’hospitalité, la participation, la coopération et les installations fournies par le Gouvernement haïtien et les organisations non gouvernementales, les institutions de la société civile et les organisations internationales, notamment la Mission spéciale de l’OEA, dans le cadre de cette visite.

Washington, D.C., 7 septembre 2004.

Référence : CIDH-19F