Bureau de Presse à la CIDH
Washington D.C.- La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) exprime sa préoccupation au sujet des informations fournies concernant les perturbations successives du système d'équilibre des pouvoirs qui pourraient entraîner l'affaiblissement de l'État de droit au Pérou. Dans ce contexte, il est nécessaire que les actions de l'État garantissent que la démocratie et les droits humains demeurent effectifs. C'est pourquoi la Commission appelle à respecter l'indépendance du pouvoir judiciaire et du système électoral, ainsi que les droits humains, qui renforcent la démocratie.
Ces derniers mois, la CIDH a reçu des informations sur des actions qui constituent une ingérence politique du Parlement de la République du Pérou contre des organes du système judiciaire et d'autres institutions démocratiques qui luttent contre la corruption, avec un impact sur l'accomplissement de leurs mandats. En particulier, la CIDH est préoccupée par toutes les ingérences dans les fonctions des autorités ayant des mandats essentiels pour la préservation de la démocratie, telles que le Conseil national de la justice (JNJ), le Jury national des élections (JNE) et les membres du parquet chargés des affaires de lutte contre la corruption.
Les procédures de sanction initiées par le Parlement, telles que les plaintes constitutionnelles, ont conduit à la disqualification des personnes en charge des affaires de corruption dont le travail implique souvent des membres du Parlement et des personnes dirigeantes politiques. En outre, au moins deux initiatives de réforme constitutionnelle sont en cours au Parlement, l'une visant à remplacer le JNJ par une école nationale de la magistrature, et l'autre à réorganiser le JNJ et le ministère public, ce qui aboutirait à la révocation des titulaires de mandat de ces institutions.
Dans ce contexte, la CIDH souligne les procédures engagées contre la procureure Delia Espinoza. De même, au moins 14 procédures ont été engagées contre le JNJ qui ont conduit à la disqualification de deux de ses membres, dans un scénario où des violations du principe de légalité et de séparation des pouvoirs ont été signalées.
D'autre part, la CIDH note les actions menées contre le système électoral, qui affectent son indépendance. À cet égard, le président du JNE a fait l'objet d'au moins 10 plaintes devant la plénière du Parlement. Dans le cadre des procédures de sanction promues par le Parlement, il y a eu des accusations répétées de motivations politiques et l'absence d'une base juridique pour les justifier.
L'État a indiqué que la majorité des procédures de disqualification engagées par le Parlement ont abouti au classement de l'affaire, tandis que les personnes qui ont été effectivement disqualifiées peuvent faire appel devant le pouvoir judiciaire ou la Cour constitutionnelle avec des garanties de procédure régulière. L'État a déclaré que le « bon fonctionnement » des organismes publics est garanti par des mécanismes de contrôle et d'équilibre. Il a également affirmé son engagement en faveur du respect des droits humains et de la démocratie, y compris le respect de la séparation des pouvoirs et de l'autonomie des institutions.
La CIDH rappelle que le respect de la démocratie implique la mise en place d'un modèle d'équilibre des pouvoirs. Dans ce modèle, les différentes fonctions de l'État doivent correspondre à des organes distincts, indépendants et équilibrés, afin d'établir les limites nécessaires à l'exercice du pouvoir et, en même temps, d'éviter l'arbitraire. L'État doit veiller à ce que les autorités exercent leurs fonctions dans le strict respect de la loi et de l'intérêt public. Dans des contextes de corruption et d'impunité élevées, les États doivent réaffirmer leur engagement à lutter contre ces fléaux en renforçant le système judiciaire.
Ces dernières années, la CIDH a observé et mis en garde contre la détérioration de la démocratie au Pérou. L'utilisation des pouvoirs de contrôle du Parlement de la République du Pérou, sous la forme où ils ont été exercés, est susceptible de mettre en péril l'État de droit. L'exercice du pouvoir a affecté des institutions autonomes, qui ont un rôle transcendantal dans la vie démocratique de l'État, ce qui, parallèlement, menace la situation des droits humains. Dans ce contexte, il est urgent de prendre des mesures immédiates pour garantir le principe de séparation et d'indépendance des pouvoirs publics reconnu par la Constitution.
À cet égard, la Commission exhorte l'État à démontrer son engagement envers les principes de la Charte démocratique interaméricaine et ses obligations internationales en matière de droits humains. À cette fin, il devrait adopter des mesures urgentes pour renforcer l'État de droit, y compris le renforcement de la lutte contre la corruption dans toutes les sphères du pouvoir public, ainsi que des garanties pour l'indépendance des personnes opératrices judiciaires. En outre, le Parlement de la République doit, de toute urgence, cesser l'utilisation discrétionnaire et instrumentalisée de son activité de contrôle et de sanction, et éviter d'adopter des réformes qui menacent l'indépendance et l'autonomie d'autres organes de l'État. Ceci est essentiel pour restaurer la confiance de la population dans les institutions publiques et confirmer le respect de l'État de droit.
La CIDH est un organe principal et autonome de l'Organisation des États Américains (OEA) dont le mandat émane de la Charte de l'OEA et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. La Commission interaméricaine a pour mandat de promouvoir le respect et la défense des droits de l'homme et de servir, dans ce domaine, d'organe consultatif de l'OEA. La CIDH est composée de sept membres indépendants, élus à titre personnel par l'Assemblée générale de l'OEA et qui ne représentent pas leurs pays d'origine ou de résidence.
No. 130/24
3:50 PM